Hoffenheim, en rien un hasard

Ce soir, Hoffenheim va jouer la première rencontre de Champions League de son histoire, face au Chakhtar Donetsk. Club amateur la majeure partie de son histoire, le club situé dans la région du Bade-Wurtemberg connaît une ascension fulgurante depuis les années 1990, et le rachat du club par le riche homme d’affaires Dietmar Hopp. Mais l’argent n’est pas la seule raison de la présence d’Hoffenheim dans l’élite du football européen, malgré ce que l’on peut entendre. A force de travail, d’innovations et de prises de risques, le club allemand a bien mérité sa place, et compte bien l’honorer.

I. Une présence logique

Depuis l’arrivée en 1990 de Dietmar Hopp, fondateur de la société d’informatique SAP et ancien joueur d’Hoffenheim, le TSG 1899 Hoffenheim se construit petit à petit, en montant les échelons du foot allemand année après année. Et même si le club provoque des débats voire des railleries Outre-Rhin à cause de son manque d’histoire, cette qualification en Ligue des Champions n’est que le résultat de plusieurs années de travail, de professionnalisation d’un club qui végétait dans les divisions inférieurs allemandes.

Après de nombreuses montées dans les années 90, facilement obtenues grâce aux investissements d’Hopp, Hoffenheim est empêtré dans le ventre mou de la Regionnalliga Sud, alors troisième échelon du football allemand, où le club restera plusieurs saisons. Dietmarr Hopp va alors frapper un grand coup sur le marché des transferts, en allant chercher Ralf Rangnick, ancien entraîneur du Vfb Stuttgart, d’Hanovre 96 ou encore de Schalke 04 qu’il a réussi à qualifier en Ligue des Champions lors de la saison 2004-2005. Les résultats vont vite suivre. En deux saisons, Hoffenheim rejoint l’élite, en finissant second lors des deux premières saisons avec Ralf Rangnick à sa tête. Pratiquant un jeu offensif, caractérisé par un pressing étouffant les équipes adverses, Rangnick a imposé un style à cette équipe, qui a depuis gardé cette volonté de marquer un but de plus que son adversaire.

Dix-huit ans après sa prise de fonction, Dietmarr Hopp a donc réussi son pari, et ne compte pas s’arrêter là. Avec cette montée dans l’élite, le projet du nouveau stade voit très vite le jour, après avoir été reporté de nombreuses fois les saisons précédentes. Hoffenheim quitte donc le Dietmar-Hopp Stadion, et prend ses quartiers dans sa nouvelle enceinte, la Rhein-Neckar-Arena, d’une capacité de 30000 places. Pas assez grand pour un club voulant se battre pour les places européennes de Bundesliga ? Avec seulement plus de 3000 habitants, c’est neuf fois la population d’Hoffenheim qui peut aller dans ce nouvel écrin, ou nouveau jouet d’un milliardaire selon les fans des autres équipes de Bundesliga… Mais les chiffres donnent raison à Hopp, puisque son stade n’est jamais passé en dessous des 26000 spectateurs en moyenne sur une saison, malgré des saisons poussives. Le club attire des spectateurs des villes voisines, qui ont au mieux des équipes en seconde division.

La construction du stade, pilier du projet, est aussi accompagnée par la création d’un nouveau centre d’entraînement, qui a bien fait plus parler que le stade lui-même. Et pour cause, c’est un concentré de technologies et de modernité qui a vu le jour. Avec la société SAP Hybris, filiale de l’entreprise SAP SE, le board d’Hoffenheim travaille depuis des années pour développer des technologies pouvant développer les capacités cognitives des joueurs. Parmi elles, une salle est réservée au travail de rapidité du jeu de passes. Enfermés dans une salle où de nombreuses petites loges les entourent, les joueurs doivent attendre qu’une loge s’allume en rouge. De cette loge sort un ballon, qu’ils doivent contrôler au plus vite, puis s’orienter afin de faire une passe dans une autre loge, qui s’est depuis allumée en vert. Cet exercice est infini, puisque les entraîneurs peuvent programmer l’origine des ballons ainsi que la destination, ce qui permet de travailler plusieurs situations de match. Des loges se situent en hauteur pour imiter des ballons longs, qu’il faut vite contrôler pour repartir sur du jeu au sol, caractéristique du jeu d’Hoffenheim.

Le fameux Wideowall, au bord du terrain d’entraînement / © TSG 1899 Hoffenheim

Une autre invention est le Videowall, dernière trouvaille de l’entraîneur Julian Nagelsmann. Il s’agit d’un écran géant, pouvant servir à revoir instantanément les exercices des joueurs lors des entraînements. Grâce à de nombreuses caméras placées autour du terrain, les déplacements, passes ou encore les placements des différents joueurs peuvent être décortiqués instantanément si le staff le souhaite, afin d’être corrigés.

Tout en développant son business, Dietmarr Hopp arrive à faire constamment progresser son équipe ainsi que les infrastructures de son club. Un projet de long terme rondement mené, où le milliardaire ne s’est pas contenté de jeter de l’argent par les fenêtres afin de recréer grandeur nature une partie de Football Manager.

II. Un groupe compliqué, mais pas insurmontable

Avec ce travail de longue haleine, que ce soit au niveau des compétences ou des infrastructures, Hoffenheim a mérité sa place dans la reine des compétitions pour les clubs du Vieux Continent. Et le club allemand est tombé dans un des groupes les plus homogènes de la compétition, avec la présence de Manchester City, l’Olympique Lyonnais et le Chakhtar Donetsk. En dehors de Manchester City, qui devrait en toute logique sortir de la poule, aucune des autres équipes ne semble avoir d’avantage sur les autres. En effet, et malgré sa première apparition dans cette compétition, la qualification d’Hoffenheim n’est, sur le papier tout du moins, loin d’être inconcevable. Car elle retrouve deux clubs habitués à ces joutes européennes, mais loin d’être à leur meilleur niveau en ce moment.

Tout d’abord, l’OL ne semble pas être bien rentré dans sa saison à plusieurs étages. Du côté du terrain, les joueurs de Bruno Génésio ont du mal à enchaîner les bonnes prestations, et attendent souvent des exploits individuels des stars de l’effectif pour changer le cours des matchs. Poussif vainqueur d’Amiens en ouverture de championnat, l’OL a déjà connu deux défaites cette saison, contre le Stade de Reims et l’OGC Nice, et un match nul bien peu emballant contre le SM Caen. Sur ses cinq premiers matchs de championnat, seule la victoire contre le Racing Club de Strasbourg semblait un tant soit peu maîtrisée. L’OL va donc débuter cette campagne européenne avec de nombreux doutes, et doit avoir un sursaut d’orgueil pour ne pas définitivement sombrer en Ligue des Champions. Mais, comme si cela ne suffisait pas, le club rhodanien semble aussi sous tension en interne. Pendant une soirée dans le centre ville lyonnais, Bruno Génésio s’est écharpé avec un supporter lyonnais, provoquant de vives réactions sur les réseaux sociaux. Bien que cette histoire ne soit pas d’une importance fondamentale, cela semble encore accroître les critiques des supporters, que ce soit envers l’entraîneur lui-même ou la communication du club, qui a réagi trop tard selon certains. Tout cela fait les affaires des joueurs de Nagelsmann, qui partiraient favoris si le match se jouait cette semaine. Mais cette confrontation pourrait être fortement intéressante et équilibrée si les lyonnais arrivent à mettre leur jeu en place d’ici le match aller, prévu le 23 Octobre en Allemagne.

En barrages la saison dernière, Hoffenheim s’était incliné contre Liverpool. Cette année,il faudra s’élever plus haut / © Liverpool FC

Mais dans un premier temps, c’est un club habitué de cette compétition qui se présentera face à Hoffenheim, ce mercredi : le Chakhtar Donetsk. Vainqueur de la Coupe UEFA en 2009, le club ukrainien est un habitué des poules de cette compétition depuis le début des années 2000, et arrive même à en sortir régulièrement. La saison dernière, dans une poule aussi relevée (les ukrainiens étaient avec Naples, Manchester City et le Feyenoord), le Chakhtar s’était tranquillement qualifié en devançant le Napoli de six points. Avec en prime, deux victoires de prestige contre les anglais et les italiens au stade Metalist de Kharkiv, leur nouveau stade depuis 2017 (suite aux dommages subis par leur stade, la Dombass Arena, lors du conflit de Crimée). Ensuite éliminés difficilement contre la Roma, future demi-finaliste de l’épreuve, les ukrainiens avaient encore une fois montré qu’il fallait compter sur eux. Mais cette année, il faudra encore démontrer qu’ils sont à leur place, car l’équipe a subi des changements importants cet été. Fred, Bernard et Facundo Ferreyra partis vers l’Angleterre et le Portugal, c’est une grande partie de l’animation offensive qu’il faut repenser, retravailler, réorganiser. Et c’est la mission de l’entraîneur Paulo Fonseca, qui pourra s’appuyer sur quelques tauliers comme Taison ou Marlos devant. Avec le recrutement de Junior Moraes, en pleine forme en ce début de saison, et de trois autres brésiliens (Maycon, Fernando et Cipriano), la nouvelle promotion de sud-américains si caractéristique de ce club devra encore montrer ses preuves. Mais l’arrivée de ces jeunes joueurs ne comblera sans doute pas la perte de joueurs talentueux et expérimentés, et cette saison devrait donc être de transition pour les ukrainiens. A moins qu’ils ne soient encore la belle surprise de ce cru 2018-2019.

Hoffenheim n’est donc pas condamner à jouer les victimes expiatoires dans ce groupe. En développant son jeu des années précédentes, et en prenant rapidement la mesure de cette compétition, ses chances de sortir des poules existent. Et pour cela, le club allemand s’appuiera bien sûr sur sa star, l’entraîneur Julien Nagelsmann.

III. Le dernier objectif du prodige

Jeune, mais déjà autoritaire / © SportBild

Et oui, la star du club du Sinsheim n’est pas sur la pelouse, mais bien au bord à dicter ses consignes. Julian Nagelsmann, arrivé à Hoffenheim au début de l’année 2016 à seulement 28 ans, était tout simplement le plus jeune entraîneur de l’histoire de la Bundesliga. Et il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour montrer qu’il était capable d’assumer ce poste. En grande difficulté en championnat, il redressa l’équipe en un rien de temps et arriva même à sauver le club de la descente, en terminant quinzième, à seulement un point de la place de barragiste pour la relégation. Jouant le rôle de pompier lors de sa première saison, la confirmation de ses capacités ne tarda pas. A la fin de la première saison entièrement sous ses ordres, Hoffenheim se classa quatrième, juste derrière le Borussia Dortmund, ce qui ne permit pas aux allemands de se qualifier directement en Champions League. Ils perdront en barrages contre le Liverpool FC. Mais la saison dernière, le jeune entraîneur allemand a pris sa revanche sur le club de la Ruhr, en terminant juste devant lui au classement, grâce à une meilleure différence de buts. Cette saison fut exceptionnelle pour Hoffenheim, qui avait perdu en grande partie son ossature de la saison précédente (Rudy, Sule et Wagner avaient signés pour le Bayern) ainsi que des joueurs importants de l’effectif, tels que Fabian Schar ou Jeremy Toljan. Côté résultats, le jeune prodige n’a donc déjà plus à démontrer ses compétences, d’autant qu’il a régulièrement fait tomber les grosses cylindrées du championnat, surtout lors des matchs à la Rhein-Neckar Arena.

Quels sont alors les secrets de la réussite d’un si jeune entraîneur, ayant un très bon effectif mais sans véritable star ?

Tout d’abord, Nagelsmann est un entraîneur innovant, que ce soit sur ou en dehors du terrain. Comme vu précédemment, il n’hésite pas à tenter avec son staff et son équipe technique des expériences ou à demander de plus en plus d’innovations pour développer les capacités de ses joueurs. Tout cela à travers des domaines très divers qui vont des jeux vidéos aux exercices purement psychologiques. Encore très jeune, il semble qu’il a parfaitement compris que la technologie pouvait se mettre au service des athlètes, dans de très nombreux domaines. Sans en oublier l’aspect affectif, très important à ses yeux. En effet, Nagelsmann est un entraîneur proche de ses joueurs, se souciant énormément de l’aspect social qui caractérise chacun de ses protégés.

Et bien sûr, il est aussi un entraîneur très talentueux, à l’aspect tactique déjà très développé. Entraîneur au style offensif, imposant un très gros pressing à la perte de balle, il n’en oublie pas la stabilité de l’équipe. La plus grande force de son équipe ? La flexibilité. Démarrant souvent à trois défenseurs axiaux en début de match, il n’hésite pas à changer son système en plein match, en faisant remonter le milieu de terrain de formation Kevin Vogt dans l’entrejeu. Et cette flexibilité se retrouve à tous les postes. Autant dire que son équipe ne répond à aucun système de jeu prédéfini, tant elle peut changer de combinaisons en cours de match, selon l’adversaire ou les joueurs qu’a à sa disposition l’entraîneur allemand. En attaque, la plus grande force de son équipe réside dans le mouvement, et les nombreuses possibilités de passe offertes au joueur qui a la possession du cuir. Un joueur de l’effectif est l’exemple parfait de cette idée, Kevin Demirbay. Milieu très technique, ses déplacements et ses courses lui permettent de se démarquer au milieu de terrain, afin d’orienter le jeu vers ses deux attaquants axiaux ou vers les latéraux très offensifs. Aussi capable d’éliminer, il est donc un poison pour les équipes adverses (malheureusement blessé, il ne devrait pas participer à cette première rencontre). Devant, Nagelsmann joue souvent avec une paire d’attaquant, permettant un jeu vertical et de remise sur les milieux de terrain.

Avec un effectif ayant connu très peu de départs cet été, et avec l’arrivée de plusieurs renforts intéressants (Belfodil, Bittencourt ou encore la jeune pépite d’Arsenal Reiss Nelson), l’effectif d’Hoffenheim semble affûté pour jouer les deux tableaux. Pour l’instant, le début de saison des protégés de Nagelsmann est très moyen avec des performances irrégulières. La Ligue des Champions arrive donc à point nommé pour se tester contre une équipe de grande qualité, le Chakhtar Donestk. C’est la première étape d’une épopée déjà historique pour le club, et unique pour Julien Nagelsmann, qui a annoncé son départ pour le RB Leipzig la saison prochaine. De quoi motiver tout le monde dans le club, et en surprendre de nombreux autres à travers l’Europe.

 

Photo de couverture : © http://www.swr.de

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